Chausey

Publié le par ErMa

Low tideHigh tide

En ce temps là - déjà bien lointain - il fallait se lancer dans une expédition d'envergure : se lever à l'aube pour rallier avec une plate le bateau,  une caravelle nommée Ygdrassyl mouillée au Sol Roc. Préparer le matériel, hisser les voiles rouges et s'élancer enfin dans la brise du matin. A mi-chemin, si je me souviens bien, nous guettions, dans les bancs de brume, le ahanement distant d'une bouée mouillée au milieu de la mer, et que l'on appelait la Videcocq. Enfin, quand le soleil approchait du zénith nous apercevions les îles.

 

Tout cela a changé désormais. La France de Luc Besson a remplacé celle d'Albert Lamorisse, et ce songe en kodachrome a désormais vécu. A Ygdrassyl a succédé Aldébaran, puis Azura, et enfin Maestro. Place à la vitesse, à l'efficacité et à la précision. Départ de Granville, au plus près. Passé les portes du port de Hérel il suffit de laisser au pilote automatique le soin de suivre le long défilé en route vers l'archipel, deux petites heures à la vitesse de cinq noeuds. Le chenal qui mène en son centre est jalonné de rochers au formes étranges : une copie minérale du Nautilus, tout juste immergé, un iguanodon neurasthénique, un lézard menaçant qui nous défie du coin de l'oeil. Arrivés sur place, il faut laisser patiemment à la mer le soin de se vider en pique-niquant tranquillement.

 

Le bateau finit par s'échouer. Place aux grands espaces. Se dévoile alors un paysage fantasmagorique, resté enfoui depuis ma mémoire depuis l'enfance. Des trous d'eau, des lacs, des rivières, du sable, des rochers disparaissant sous le varech, des îlots couronnées d'une meute d'oiseaux piailleurs.

 

On se laisse glisser le long de l'échelle et l'on peut partir à l'aventure. A pied.

 

Certes les grands bancs de sable ne sont plus tout à fait les mêmes. Productivité (ou appât du gain ?) oblige, des bouchots dédiés à l'élevage des moules les ont envahis et il nous faut les contourner avec regret. Mais le paysage est si vaste. On embrasse du regard une étendue presque infinie rompue seulement par la présence discrète d'autres esquifs à quelques encablures. Des silhouettes minuscules qui marchent au loin. Devant moi, la Grande Île, noyée dans une brume légère. A l'horizon, le bleu étincelant de la mer.

 

Et le temps passe sans qu'on le sente. Et puis sans qu'on l'ait vraiment attendu, arrive le moment discret qu'il faut savoir saisir, l'instant précis où le flot s'inverse dans une grande nappe de silence.

 

J'avais décidé ce jour de rester les pieds bien fichés dans le sable, à proximité de Maestro, à prendre des photos en regardant la mer avancer, puis s'infiltrer le long de mes mollets.

 

Un crabe impertinent se faufilait avec insistance entre mes doigts de pieds, je retardais avec volupté le moment où il me faudrait regagner le bord sans avoir à mouiller mon tee-shirt, je voyais le  niveau de la mer monter à vue d'oeil, comme une sorte de respiration cosmique.


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