Ether

Publié le par ErMa

Il est devait être aux alentours de minuit.

 

Nous avons raccompagné les derniers invités au seuil de la maison vide. Nous  avons fait quelques pas dans le jardin. Nous nous sommes dit "au revoir" en nous promettant.. de nous revoir. A Châtel, peut-être, ou ailleurs ?

 

Alors que je me dirigeais vers la porte, ça m'a pris par surprise, je me suis senti happé.

 

Dehors, l'obscurité dans laquelle venait se diluer la lueur des lampadaires. Il venait de pleuvoir. J'ai ressenti ce que je n'avais plus ressenti depuis longtemps. La fraîcheur de la nuit, un cocktail complexe de senteurs dont émergeait celle du pin,  une odeur puissante d'humus qui imprégnait tout, comme l'haleine de la nuit.

 

Et des nuages qui planaient en volutes au dessus de nos têtes. Et puis le calme du village assoupi, avec la masse obscure du Molkenrain que l'on pressentait un peu plus loin et le vent qui bruisssait doucement dans les arbres.

 

Mon dieu comment avais-je pu oublier tout ça... Ou pire encore ne jamais le ressentir ?

 

Un peu plus tard, je me suis convaincu que le monde dans lequel nous nous mouvons était fait d'une substance difficilement tangible. Obnubilés par je ne sais quelles chimères, emportés par nos obsessions futiles, nous fonçons tête baissée dans le grand rien.

 

Nous passons devant les choses sans les voir.

 

Mais ce soir, les circonstances étaient là. Un apéro dans la maison vide, les amis qu'on quitte, une page qui se tourne, une région dont on devine qu'on ne la reverra pas. Un basculement qu'on sait irrémédiable. Une certaine sensation de déséquilibre, l'impression d'être sur la brêche, avec l'esprit un peu plus acéré que d'habitude.

 

Ce soir donc, mon cerveau fonctionnait un peu comme un alambic avec ces essences qui traversent habituellement cet éther impalpable que l'on appelle l'existence, ces parfums ténus qui constituent en quelque sorte le sel de la vie brutalement condensés, à la limite de l'overdose.

 

Et je me suis dit que le monde était comme un gros nuage : englués dedans, perdus dans le brouillard, nous ne voyons rien, nous nous croyons perdus, nous cherchons la sortie.

 

Nous sommes condamnés à prendre de l'altitude. Ah ! Après les quelques turbulences qui signent la limite, déboucher la-haut au grand air : azur, liberté, grand calme, contempler ce matelas lumineux tout blanc qui étincelle et qui nous émerveille !

 

Ce soir-là j'ai découvert une des facettes du mot "recueillement".

 

Le lendemain, après avoir chargé la voiture pour abandonner définitivement l'Alsace, cette impression s'était estompée. Le temps était au brouillard et il crachinait doucement. Je me suis installé au volant, à la radio passait "Sabali" qui donnait à ce départ la touche de nostalgie qui convient. J'ai mis en route l'essuie-glace qui s'est mis à couiner pathétiquement en emportant les gouttes d'eau qui ruisselaient sur le pare-brise, comme de mauvais souvenirs qu'on veut évacuer.


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