Toi, Isidore

Publié le par ErMa

LautréamontAtelier d'écriture, semaine dernière. Floriane nous demande de broder sur un personnage qui nous a marqué et que nous aimerions saluer (en fait je ne me souviens plus trop si c'était vraiment ça le sujet car j'avais la tête ailleurs). Mais je me suis  - pourquoi ? - souvenu de mon adolescence et j'ai produit le texte suivant, dédié à Christine, Laurence et Hélène.

 

Je te salue bien bas, Isidore. Quand je t'ai lu pour la première fois, tu avais à peu de chose près le même âge que moi.

 

Je me souviens, c'était l'été, dans le sud. Au Brusc, plus précisément. Villa "La Largado", située un peu à l'écart de la mer. On y accédait par un étroit sentier empierré qui exhalait des odeurs de lavande et de sel.  Au loin, on devinait la Méditerranée, bleue, bleue.

 

Je venais de passer le bac français. Souvent, j'échappais à la plage, ces heures caniculaires sous un soleil de plomb, à jouer au volley à moitié immergé dans l'eau pour se rafraîchir. Alors, j'allais me plonger dans ton bestiaire.

 

Allongé sur un transat, à l'ombre d'un pin parasol, avec la lumière qui jouait entre les branches, et l'odeur de résine des grands arbres qui se balançaient dans le vent, je me laissais entraîner dans ton univers étrange, sauvage et déclamatoire. J'écumais tes paysages intérieurs. Outrance.  Inquiétude. Ce monde dont, je dois l'avouer maintenant, je n'ai plus grand souvenir.

 

Le soir, on allait déambuler le long de la plage. Sanary. Bandol. On voyait les lumières des lampadaires se refléter dans les eaux noires du port. Le long de l'allée bordée de tamaris, des vendeurs de chichis. Je repensais au moment où j'avais refermé avec respect et une nuance de regret  le volume des éditions "Garnier Flammarion". Je murmurais : "Maldoror", Maldoror, comme on eût dit "Alacazam" ou "Abracadabra", ces mots qui vous précipitent dans un ailleurs que l'on n'aurait jamais envisagé auparavant.

 

Oui, toi, Isidore, natif de Montevideo, Uruguay, tu avais illuminé cet été-là, celui de mes seize ans et marqué de façon indélébile mon esprit. Plus exotique et inclassable que ton cousin Arthur, en quelque sorte réservé aux happy few dont je me targuais de faire partie, tu avais laissé une trace fulgurante dans la littérature, un certain parfum d'absolu avant de te retirer subrepticement de la vie, rongé par la phtisie et la misère, loin de tes bases.

 

Merci encore à toi, Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont.


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